Belle et bio, c’est son créneau
Créatrice de la marque Téane, Agnès Ducrocq est l’une des pionnières du bio dans le domaine de la cosmétique pour femmes enceintes. Nommée dans la catégorie « Femme Tech innovante » des Femmes de l’économie 2015, l’entrepreneuse du Loiret ambitionne de faire partager sa réussite à l’international.
Entretien.
Vous avez intégré en 1997 un grand groupe de télécommunication comme responsable de laboratoire R&D puis accepté un poste de chargée d’affaires sur la zone Asie au sein de cette même entreprise. Des fonctions bien loin de la cosmétique…
Oui, bien loin ! Je me dis aujourd’hui qu’avoir travaillé au sein d’Alcatel était une petite déviation dans mon parcours. Lorsque l’on m’a proposé le poste à la sortie de mes études, je n’avais que vingt-quatre ans. On m’offrait l’opportunité de travailler dans un univers international et l’occasion de manager une équipe de huit techniciens. Comment refuser un poste pareil pour une première expérience ?
Le problème, c’est que cela a duré sept ans. De projet en projet, je m’éloignais complètement de mon idéal de vie. Ce que je souhaitais vraiment, c’était enfiler une blouse et évoluer dans un labo de cosmétique pour innover. Après tout, j’avais un diplôme d’ingénieur chimiste. Le déclic s’est fait brusquement à Tokyo, en 2003. J’allais vendre des câbles sous-marins à fibres optiques à des Japonais… Et je me suis dit : stop. Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est ce qui m’est arrivé ?
Vous êtes donc revenue à vos premiers amours, la cosmétique et l’innovation ?
Oui, j’ai frappé à de nombreuses portes mais on ne m’a pas accueilli à bras ouverts. Après sept ans d’expériences complètement étrangères à la cosmétique, je n’étais plus légitime sur le marché. Il m’a fallu me battre. J’ai dû reprendre des études et intégrer une formation en master marketing international. Je peux dire que je suis repartie de zéro ! J’ai dû m’accrocher et prouver que j’étais motivée.
Je suis devenue stagiaire à trente ans chez Revlon, la première entreprise qui m’a donné ma chance. J’y suis restée plus d’un an au marketing opérationnel. Ensuite, j’ai enchaîné les postes dans la vente en tant que responsable de grands comptes dans le secteur du maquillage de luxe. J’avais à présent la double compétence, marketing et ingénieur. Et pourtant je n’étais pas encore prête à monter ma boîte. Même si j’en rêvais, je manquais certainement de maturité.
Aujourd’hui les laboratoires Téane, à Olivet, existent bel et bien. Comment l’aventure a-t-elle commencé ?
Après avoir travaillé pour des grands groupes, j’ai intégré un peu par hasard Crazylibellule and the poppies. Une entreprise en phase de lancement. Je donc vécu par procuration la création d’entreprise. Je suis restée deux ans à leurs côtés, j’ai vu l’entreprise prendre forme et se développer. Et puis je me suis sentie prête ! C’était devenu évident. Mon tour était venu. Je devais enfin créer mon entreprise de cosmétiques bio, une société qui défende mes valeurs. Mon rêve depuis toujours.
Vous êtes aujourd’hui en concurrence de groupes comme Mustela, Pierre Fabre ou encore Avène. Comment avez-vous fait pour vous imposer sur le marché ? Le bio était déjà bien présent à la création de votre entreprise Téane en 2009 ?
Oui. On peut dire que le bio a explosé en 2005. Quand je suis arrivée sur le marché, les changements de consommation étaient bien réels. Les femmes avaient déjà à leur disposition une offre large de produits d’hydratation bio. En revanche, elles devaient faire le choix entre des produits dits conventionnels, avec tout ce que peut offrir la science et donc sans écarter un risque sur la santé et une offre naturelle mais pas très innovante et surtout sans preuve avérée de résultats.
Mon positionnement était simple : proposer des produits sans compromis entre sécurité et résultats. Les femmes les plus exigeantes sur ce créneau sont les femmes enceintes. Elles sont à un moment de leur vie où elles se posent des questions et veulent le meilleur pour le bébé et leur peau ne sera jamais plus étirée que sur cette période. C’est comme cela que Téane est née et a pu faire ses preuves face à des mastodontes du secteur.
Les soins Téane agissent en prévention et en réparation, c’est ce qui font leur succès.
Quelle est la technologie mise en œuvre ?
Lors d’un voyage à Madagascar, j’ai rencontré des sages-femmes qui utilisaient de la Cassia Alata, une plante aux applications cosmétiques intéressantes. À l’aide du CNRS, de partenaires biologistes et de dermatologues nous avons fait des tests cliniques en France.
Ceux-ci ont duré deux ans et nous avons obtenu un brevet en 2013. Nous pouvions offrir une alternative crédible sans oublier notre ADN de marque : de la technique mais au naturel. C’est la cohérence Téane. Cela fonctionne bien. On part dans quels jours dans une nouvelle aventure avec le lancement d’une gamme Derma-bébé pour lutter contre la sécheresse de la peau des plus petits. L’histoire continue…
Vous êtes vous-mêmes maman de deux enfants. Téane vient d’ailleurs de l’association de leurs deux noms : Téa et Etane. Est-ce qu’être une femme entrepreneuse accède à un écosystème d’entraide ou au contraire à moins de facilité à évoluer ?
Mère à la tête d’une entreprise qui s’adresse aux femmes, j’ai une certaine légitimité. Mais il est clair que, durant la phase de financement du projet, lorsqu’il a fallu s’adresser aux business angels – un univers très masculin – mes produits ne les sensibilisaient pas. Les femmes sont vues comme plus fragiles, plus crédules. Il est vrai que nous manageons différemment, nous mettons des rondeurs dans nos idées, de cette façon on s’impose sûrement moins… Pourtant, nous évoluons aussi dans le monde des affaires et avons bien conscience de ce qu’il peut représenter. Nous devons donc nous y imposer différemment, et parfois avec deux fois plus d’énergie qu’un homme. J’ai dû m’imposer. Pour ma part, ce qui m’aide à tout gérer – vie de famille, ambitions professionnelles et personnelles –, c’est d’être soutenu dans mon projet. Sans mon mari, il me serait difficile de tout mener de front. L’équilibre ne peut se faire que si l’on est épaulé.